La Lettre
Je tiens dans ma main une lettre écrite il y a plusieurs dizaines d'années, quand nous étions encore jeunes et insouciant, nous avions toute la vie devant nous... Pourtant, je garde depuis ce temps là un secret que je dois te révéler, et qui fait que je t'ai obligé toi aussi à garder un secret...
« Ma Chérie,
Nous sommes aujourd'hui le 23 juin, je te vois dehors, en train d'étendre les draps, le petit courant d'air me rapporte des effluves de lessive... J'aime l'odeur du linge qui sèche dans la brise d'été... On dirait que le textile retient quelques particules d'air. J'entends nos enfants qui rient dans leur salle de jeu, ils viennent de passer à coté de moi en courant, transpirant un peu, à force de courir après des dragons imaginaires certainement...
A midi, nous avons prévus de manger dehors, les enfants adorent ça, moi aussi d'ailleurs, quand à toi, je n'en sais rien, mais je suppose que tu apprécies aussi où du moins, tu ne t'en plaints pas.
Cela fait plusieurs années que nous sommes mariés, nous avons une vie heureuse et bien remplie, faite de joies et de peines. Et nous avons su tous les deux garder une part de mystère et de secret qui fait que nous sommes sans cesse surpris l'un par l'autre...
Je me rappelle comme si c'était hier de notre mariage, de la naissance de nos enfants, certainement les plus beaux jours de ma vie et aussi les plus angoissant. Je crois qu'on n'a jamais eu vraiment peur avant d'avoir des enfants...
Je me rappelle des visites des gens qui venaient nous voir à la maternité, chacun y allant de son petit commentaire : il a les yeux de sa maman, tout le portrait de toi petite, avec les yeux de son papa... Bref toutes les banalités possibles, s'ils savaient... A moins qu'ils ne sachent vraiment qui est le père car ce n'est pas moi : je soufre d'une infertilité irrémédiable depuis toujours, les médecins sont catégoriques : je n'ai jamais eu et je n'aurais jamais d'enfants...
Je ne t'en ai jamais parlé. Au début parce que ca n'en valait pas la peine, je croyais qu'entre nous c'était juste un plan cul de plus, puis quand ça a commencé à devenir plus sérieux, je n'en ai pas eu le courage. Et puis tu me parlais sans cesse d'avoir des enfants, et de savoir si j'en voulais... Alors je répondais oui sans aucune hésitation, un peu égoïstement car je ne voulais pas te perdre, un peu aussi par désespoir car je savais que ça n'arriverai jamais. Et puis miracle, un jour tu es rentrée avec un test de grossesse, nous avons attendu le lendemain matin pour le faire.
Cette nuit à été très longue pour moi : tu imagines ma femme revient enceinte alors que je ne peux pas avoir d'enfant. J'ai tout retourné dans ma tête, qui est le père, avec qui m'as tu trompé, pourquoi... Au levé du jour, j'avais réussi à me convaincre que les médecins s'étaient trompés sur mon cas. Quand le test s'est révélé positif, j'ai sauté de joie au plafond, devant la double nouvelle. Imagines un peu le miracle pour moi...
Mais je crois qu'au fond de moi, ce jour là, j'ai su que tout ceci n'était qu'un écran de fumé...
Notre deuxième et notre troisième enfant sont arrivés. Et j'ai cessé de me tourmenter.
Puis il y a eu ce coup de téléphone, un homme qui te demandais, quand je lui ai demandé qui il était, il s'est mis à bafouiller qu'il s'était trompé de numéro puis a raccroché. Alors je t'ai suivi, pendant plusieurs jours, sans succès, jusqu'au jour ou tu es entré dans cet hôtel avec lui. Puis tu es ressortie seule. Ce jour là, je l'ai suivi jusqu'à chez lui, il allait tout comme toi retrouver sa famille et ses enfants. J'ai senti la rage monter en moi, alors je suis entré dans la maison et je les ai tué un par un, je ne me croyais pas capable d'un tel déchainement de violence, leurs cris, les pleurs des enfants, les supplications de sa femme... Puis j'ai allumé le gaz, et j'ai appelé d'une cabine leur téléphone portable. La suite tu la connais. Dans les jours qui ont suivi, tu étais abattu, tu m'as parlé d'un drame horrible, un de tes collègues de boulot et toute sa famille tués dans l'explosion et l'incendie de leur maison. Quand je t'ai demandé si tu le connaissais bien, tu m'as simplement répondu « pas trop » et qu'il ne travaillait pas dans ton service...Quel aplomb !!!
Nous n'avons plus jamais eu d'enfant après ça... Ceux que tu as eu avec cet homme, je les aime comme si c'était le mien, ce sont d'ailleurs les miens...
Comme tu vois, je sais ce que tu as fait, un peu à cause de moi, et tu vois ce que j'ai fait un peu à cause de toi...
Ton mari qui t'aime... »
Aujourd'hui, je vie encore avec le souvenir de ses gens que j'ai tué, comme si c'était leur faute. En vérité, c'était la mienne et c'était la tienne. Pour le repas de midi, je nous ai préparé des lasagnes, ton plat préféré, mais j'y ai ajouté un ingrédient un peu spécial qui devrait l'épicer un peu, et qui devrait nous permettre de nous libérer à jamais de nos erreurs...